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Bloge de Michel de Bourgee
1304
HARVARD LAW SCHOOL
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ELOGE
MICHEL DE BOURGES
DISCOURS
PaONONCE PÀtt
M. Paul VEYSSEYRE
A70CAT A LA COUR D'aPFEL
SECRÉTAIRE DE LA CONFÉRENCE
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<fc ©AfRŒEAU <DE <PA(RIS
ÉLOGE
DE
MICHEL DE BOURGES
DISCOURS
PRONONCE PAR
M. Paul VEYSSEYRE
AVOCAT A LA COUR d\\PPËL
SECRÉTAIRE DK LA CONI'g&gKCE
A l'ouverture de la Conférence des Avocats
Le 3 Décembre 1904
IMPRIMÉ AUX FRAIS DE L'ORDRE
PARIS
ALCAN-LÉVY, IMPRIMEUR DE L'ORDRE DES AVOCATS
117, RIE RÉAILMUR, II7
1904
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ÉLOGE
MICHEL DE BOURGES
DISCOURS
PRONONCE PAR
M. Paul VEYSSEYRE
AVOCAT A LA COUR Ii^APPEL
SECRÉTAIRE DE LA CONFÉRENCE
Monsieur le Bâtonnier,
Messieurs et chers Confrères,
Au commencement de 1831 1 dix-neuf jeunes gens,
parmi lesquels les chefs du parti républicain, Gui-
nard et Cavaignac, avaient à répondre d'un complot
formé pour substituer la République à la Monar-
chie de Juillet. Michel de Bourges, inconnu au
Barreau de Paris, défendait un affilié obscur d'une
conjuration problématique (').
(Ii Je tiens a cxnrinuT loulc ma reconnaissance an beau-fils de
Michel de Bourges, M. Simon Lob ru n qui a bien voulu me conïlcr
ses papiers de famille ol à M. L. Martin, députa du Var, qui a mis
a ma disposition les nombreuses plaidoiries de son compatriote, rcr
cueillît s par ses soins; leur obligeance m'a. été précieuse pour la docu-
mentation d'un sujet aussi lointain. — J'ai aussi une vive gralilude Si
MM* Emile 01!iviei\ CuzciL, Henri Brisson qui ont connu Michel da
Bourges et qui m'ont lait part de leurs souvenirs.
— 6 —
Ce provincial, plaidant pour un comparse* se
révèle soudain comme le tribun d'une opposition
redoutable. Il avait partagé pendant « les trois Glo-
rieuses » les illusions républicaines des insurgés les
plus hardis. Sa profonda déception, ses rancunes
contre le nouveau roi ranimaient d'une passion
révolutionnaire.
Il personnifiait avec tant d'éclat, en 1830, la résis-
tance du Berry aux célèbres ordonnances de
Charles X, que le garde des Sceaux de la nouvelle
monarchie lui avait offert les fonctions de
Procureur général à la cour de Bourges ( x ). Mais
loin de saluer en la personne du duc d'Orléans « la
meilleure des Républiques a>, comme le général
Lafayette y conviait le peuple de Paris, ce démo-
crate accusait Louis-Philippe d'usurper la Révo-
lution : il s'apprêtait à le combattre, et non à le
servir,
Sans doute, les entreprises d'une aristocratie
rebelle aux leçons de rémigration et d'un clergé
avide de ressaisir son influence avaient rapproché
sous le dernier règne les fractions disparates de
l'opposition légale et révolutionnaire. Sans doute 3
les audacieuses ordonnances, qui congédiaient la
Chambre, et restauraient le pouvoir absolu, avaient
[i) Papiers de famille de M. Simon Letotrun, beau-fik de Miched de
Bourges. — Voir aussi le discours de rentrée de M. V avocat général
Dau&rche, actuellement conseiller a la Cour de cassation, « Michel
de Bourges et le parti républicain », prononcé h l'audience solennelle
de Qa Cour de Bourges, le 3 novembre 1882. [Sire» imprimeur-éditeur,
a Bourges), (p. 14.)
— 7 —
réalisé la fusion de leurs forces éparses. Commu-
niant dans la haine du passé, la bourgeoisie libérale,
les écoles, les faubourgs de Paris s'étaient ligués
pour défendre les libertés publiques dans une
émeute fraternelle. Mais bientôt l'heureuse fortune
des armes avait dissocié les troupes de l'insurrec-
tion, rendues par la victoire à leurs divergences
passées.
Il suffisait à la bourgeoisie, pour désarmer ses
rancunes, qu'une monarchie moins distante et plus
familière lui garantît avec ses faveurs le tranquille
monopole du pouvoir parlementaire ; mais les
plus militants, les plus humbles de ses auxiliaires
cherchaient sans lef découvrir le profit de leurs
efforts.
Que leur importait, à eux, l'extension du pays
légal, l'abolition du principe héréditaire à la
Chambre Haute, et quelques promesses de libertés
précaires avec une nouvelle dynastie ? N'atten-
daient-ils d'un régime nouveau que le retour du
drapeau tricolore, et qu'un déplacement dogmatique
de la souveraineté, symbolisé par le serment de
Louis-Philippe à une Charte nouvelle ? Etait-ce
pour assurer le triomphe des classes moyennes*
qu'ils avaient dispersé les soldats de Charles X et
reconnu pour chef un roi-citoyen ?
Après une trêve de quelques mois, les républicains
organisent pour le service de leur cause les décep-
tions de tous ces mécontents. Des sociétés politiques
— 8 —
se reforment, des tentatives d'émeute, des agitations
dans la garde nationale, une active propagande de
presse, raniment l'effervescence séditieuse de Paris
et des grandes villes. On escompte déjà de nouvelles
journées où le Roi des barricades tombera sur d'au-
tres barricades (*).
Mais Louis-Philippe entendait montrer à la
France qu'il se tenait pour définitivement investi du
droit de la gouverner. Après quelque délai de con-
descendance pour les insurgés de la veille, devenus
ses adversaires, il les défère sans relâche à la
répression des tribunaux-
Pendant les premières années du règne, l'activité
du Parquet ne se dément pas. En vain, le jury indo-
cile répond négativement, d'ordinaire, aux plus
séduisantes variétés d'accusation : complot, outrage
à la personne du roi, excitation à la haine et au
mépris du gouvernement, provocation à la haine
entre diverses classes de la société. En vain, les
accusés et leurs défenseurs transforment les salles
d'assises envahies par leurs amis en clubs, où les
déclarations et les plaidoiries deviennent des pré-
textes à propagande ; le procureur général inlas-
sable poursuit sa tâche de pacification politique ( 3 )-
Le complot des Dix-Neuf fut la première ren-
contre entre les Républicains déçus et les Orléanistes
{1} V. Thureau-Dongin, Histoire de la Monarchie de Juillet, T. i.
Ch. m.
(âï V. Thureau-Dangin 1 lïistaire de la Monarchie de Juillet, T, ir,
p. S et sulv.
— 9 —
satisfaits ( l ). Michel de Bourges débutait à Paris,
dans une cause où le Parquet du nouveau régime
s employait à la conversion de ses adversaires ( 2 ),
Dès qu'il se lève, les chancelantes certitudes du
réquisitoire cèdent à l'effort d'une dialectique redou-
table : les dépositions complaisantes tombent sous
les coups d'une discussion si rigoureuse qu'elle
semble mener à une vérité scientifique; car, en dépit
de ses passions, Michel de Bourges a toute la minu-
tieuse patience, toute l'inflexibilité d'un géomètre.
Il sait que ceux-là seuls dédaignent les démonstra-
tions précises qui ignorent la stricte ordonnance des
raisonnements impérieux ; il sait que les déduc*
tions vivent de l'accent, du geste, et que l'évidence
rationnelle à laquelle il se condamne, va légitimer
ses magnifiques emportements de tribun, Il saura
faire le procès du Pouvoir, dès qu'il aura gagné sa
cause : viennent maintenant les menaces, les cris de
révolte, la persécution les aura par avance justifiés.
Et le plaidoyer s*achève par une évocation inatten-
due. Michel de Bourges adjure le roi-citoyen au nom
du roi légitime. Il rappelle le passé judiciaire du
régime disparu : il énumère les exécutions san-
glantes de la Restauration. Les Bourbons ont voulu
étouffer l'opposition, ils l'ont comprimée ; enhardis
par une décevante accalmie, ils ont promulgué les
(11 V, Thiit^au-Dungiii, Histoire de la Monarchie de Juillet, T. r t
p. 583 et suïv.
(2) V. Gazelle des Tribunaux des G, 7, 3, îï, 10, 11, 12. 13, il et
15 avril 1831.
— 10 —
lois les plus impopulaires, loi des substitutions, du
droit d'aînesse, du sacrilège. Pour ressusciter une
société morte, les voici conduits au coup d'Etat : les
ordonnances paraissent, Maïs l'insurrection éclate,
et le roi félon à la Charte disparaît dans la tour-
mente de Juillet... Défendre le régime nouveau
contre l'entraînement de ses haines, ce sera, n'est-il
pas vrai, affermir sa stabilité ; assurer à des adver-
saires la liberté de le combattre, c'est préserver
Louis-Philippe du destin de Charles X : l'acquitte-
ment s'impose dans l'intérêt même du pouvoir.
Il faudrait, Messieurs, relire cette entraînante
page d'histoire pour se sentir pénétré, si loin qu'il
soit dans le passé, par l'irrésistible puissance de
Michel de Bourges. Il faudrait surtout sa donner
la vision de cette orageuse audience, où son ardente
parole faisait revivre les colères du règne de Char-
les X, et l'enthousiasme d'une Révolution saluée de
tous comme une délivrance, pour avoir la mesure de
l'art d'un avocat, qui liait la cause dun client poli-
tique aux passions unanimes de ses juges... Un
acquittement général suivit sa plaidoirie qui avait
fini dans une ovation : l'inconnu d'hier était passé
maître : Michel de Bourges avait droit de cité au
Barreau de Paris Ç).
Il n'était pas de Bourges... en dépit des apparen-
ces : mais il y avait plaidé ses premières causes,
Hl Pinard, Barreau français au xix* siècle
p. 2GQ, 20i
Michel de Bourg e$>
— ii —
attiré par l'amitié d'un jeune avoué à la Cour ( l ).
Il demeura fidèle au barreau de ses débuts. C'était
un usage démocratique, depuis la première Révolu-
tion, quand des avocats ou des hommes politiques
célèbres portaient un nom répandu, de les distinguer
en rappelant leurs attaches provinciales. Suivant,
après 1830, l'exemple du nouveau garde des Sceaux,
son ami Dupont, devenu Dupont « de l'Eure », l'avo-
cat Michel emprunte à sa ville adoptive le titre plus
sonore, que son talent devait consacrer, et devient
« Michel de Bourges ». Mais il avait, en réalité, vu
le jour au pays « des beaux parleurs » : il venait de
Provence, la terre classique de l'éloquence spon-
tanée.
Les circonstances tragiques de sa première
enfance ont profondément troublé son imagination
ardente. Après Thermidor, aux temps anar chiques
du Directoire, où la Terreur Blanche désolait le
midi de la France, son père, un humble bûcheron du
Var, fut massacré une nuit de Noël avec tous les
rouges du village ( 2 ). Ces lugubres événements, dont
les siens ne cessaient de s'entretenir, devaient pré-
parer sa formation politique ; sans les dons excep-
tionnels de son esprit, ils eussent fait de lui, sans
doute, cfuelque « soldat obscur du carbona-
<1) M' Brisson, lu père de M. H. Brisson, président de la Chambre
des dépulfe.
(2) Papiers de famille de M. Simon Lebrun. Voir aussi Un Républi-
cain de la veille : Michel de Bourges; M + Paul Janet. Beiue politique
et littéraire, 17 avril 1880 (p. 982-983).
— 12 —
risme » Ç), inutile complice de conspirations avor-
tées.
Le hasard d'une camaraderie avait mis entre les
mains de Michel de Bourges enfant un code Napo-
léon ( a ) : depuis qu'il savait lire, il s'était passionné
pour ce livre austère. Lire, et apprendre le code à
dix ans, n'était-ce pas là, Messieurs, une prédesti-
nation juridique ? Mais quelle distance séparait
encore d'une salle d'audience le petit paysan du Var,
qui balbutiait d'instinct les articles de la loi ! Il en
fût resté, sans doute, à ces rudiments! de connais-
sance, si l'éclat de ses facultés précoces n'avait
éveillé des sollicitudes généreuses. Conduit au
collège d'Aix, grâce à l'intervention romanesque
d'un riche propriétaire voisin, le jeune Michel fran-
chit brillamment la première étape des études; puis
il connut les déceptions qui suivent souvent les suc-
cès universitaires. Chargé de parchemins officiels,
il constatait la médiocrité de leur valeur d'échange;
dans une heure de découragement, il s'engage aux
armons du roi Louis XVIIL
Mais la fantaisie apparente de sa destinée allait
le ramener à sa vocation naturelle. Un sergent de
ses camarades, accuse de désertion à l'intérieur, et
traduit devant le Conseil de guerre de Marseille,
le choisit pour défenseur. Le déserteur avait
(1) M" feambort, nvocot aux Conseils du roi. Discours prononcé par
E, Couinrd h il'ouverlurc de? ]a CDHlV-nencc de slage des avocals ft
la Cour do cassa Unn T le 12 encombre IDs'cl tp. 30+)
ffcjMlchfel de Rourfrés, Eluda hhtrjTaphitiite. Mugon-Iiarbaroux (p. 11.)
Libraire Flammarion. Marseille.
— 13 —
méconnu les délais d'une permission parcimo-
nieuse, pour assister sa mère mourante Michel de
Bourges puise dans sa tendresse filiale les arguments
d'une émouvante défense, et fait acquitter son ami ;
les soldats enthousiastes ramènent en triomphe
l'accusé et l'avocat Ç)> Révélé à lui-même, et con-
fiant dans quelques promesses de talent, le jeune
sergent bientôt libéré, vint à Paris poursuivre son
éducation juridique.
Etudiant et maître d'étude tour à tour, il parve-
nait encore à se mêler aux agitations de la jeunesse
libérale, à prendre part aux réunions des sociétés
secrètes ; sans doute, il fut carbonaro. Deux hommes
qu'il rencontra ont exercé sur lui une influence déci-
sive : Buonarotti, un conspirateur ami de Robes-
pierre et de Babœuf, f ascinait son imagination par
un culte farouche de l'action révolutionnaire allié à
d'audacieuses théories de rénovation sociale ; mais
le savant commentateur de Montesquieu, Destutt de
Tracy, séduisait son esprit de logicien par les rassu-
rantes constructions du philosophe des trois pou-
voirs ( 3 ). Michel de Bourges oscilla souvent entra
les tendances opposées de ces initiateurs politiques.
Mais au début de sa carrière, aux jours les plus.
rétrogrades de la Restauration, et surtout aux
temps troublés de la monarchie de Juillet naissante,
il avait la hantise de la guerre des rues et des Bar-
ricades.
(1) 'Discours de M. Qmjarcbje, précité (p. >i).
(2) Discours de M. Douaipche, précité (p. %
— 14 —
Alors, sa séditieuse rhétorique en fait l'impétueux
défenseur des procès de complot et de presse, où
s'achève la déroute des nombreux insurgés hostiles
au nouveau roi. Aux assises de la Seine, à la Cour
des Pairs, il se mesure sans désavantage avec les
plus illustres de ses confrères, les Philippe Dupin,
les Bethmont, les Delangle : comme il les dépassait
tous en audace, il parvint à la renommée d'un avocat
de parti.
Une poursuite en diffamation intentée par Casi-
mir-Périer va lui permettre de défendre Tune des
puissances les plus discutées de ce temps, la Presse,
qui venait de bénéficier en 1830 d'une libération
conditionnelle.
La Tribune, une jeune feuille républicaine, qui
devait bientôt s'abîmer sous les amendes, dénonçait
le caractère suspect d'un marché de fournitures.
Casimir-Périer et le maréchal Soult avaient chargé
un commerçant libéral, M. Gisquet, devenu depuis
lors préfet de police, d'acheter en Angleterre des
fusils pour la garde nationale. M. Gisquet avait
acquis secrètement un lot de 200.000 fusils qui dor-
maient à la tour de Londres : les milices bourgeoises
étaient armées de ces mousquets pacifiques.
Mais le rédacteur en chef de la Tribune, Armand
Marrast, découvre que naguère la Banque Casimir-
Périer commanditait la maison Gisquet ; il
apprend que les fusils sont détestables, que l'indus-
trie française a offert, en temps utile, des armes
— i5 —
meilleures et à meilleur compte. Tirant de ces pré-
misses les conclusions d'un adversaire politique, il
qualifiait provisoirement de concussionnaires les
ministres responsables, exigeant sur l'heure des
explications. Pour toute réponse, Casimir-Périer
le défère à la Cour d'assises (').
La Cour vit défiler à sa barre tous les lieutenants
de la Révolution récente : les parlementaires du
mouvement, les ministres d'hier, Laffitte, Mauguin,
Dupont de l'Eure, dirent dans leurs dépositions
discrètes toute l'impression de malaise que cau-
saient au pays des marchés scandaleux. Le minis-
tère fut convaincu de négligence.
Mais Philippe Dupin, au nom de la partie civile,
établit que l'appréciation des marchés Gisquet rele-
vait du contrôle parlementaire. A la Chambre, les
ministres plaideraient peut -être, pour leur défense,
les circonstances atténuantes ; aux Assises, ces
fonctionnaires publics se plaignaient d'une imputa-
tion calomnieuse ; la condamnation du diffamateur
s'imposait. Le futur Bâtonnier s'élevait enfin contre
le despotisme naissant d'une presse envahissante ;
et, dans une image hardie, fanée, sans doute, par la
cruelle fantaisie d'une littérature inconstante» il
dénonçait en elle avec une indignation épouvantée :
(T) V. Le procès de$ [usils Gisquet. Brochure publiée par te journal
la Tribune, en 1831.
{I) V. Procès GisqueL Gazelle des Tribunaux des 30, 31 octobre;
V'\ 2, 3 et 4 novembre 1831.
— 16 —
« non pas le flambeau qui éclaire, mais la torche qui
« incendie, m
Michel de Bourges s'efforça de séduire le jury par
le mirage de la vraisemblance. Les marchés Gisquet
alarmaient toutes les consciences. Comment ne pas
suspecter la loyauté de leurs auteurs, si experts à la
conduite de leurs affaires propres, et qui mettaient
au service de l'Etat la plus onéreuse maladresse ?
Mais surtout, la diffamation était dubitative : dans
son article, Armand Marras t interrogeait le prési-
dent du Conseil et le Ministre de la guerre sur ua
pot~de-vin qu'il les soupçonnait d'avoir reçu; que le
ministère répondît et se justifiât, l'allégation tom-
bait d'elle-même.,.
La Presse, émancipée d'hier, voulait traiter de
pair avec le pouvoir ; Michel de Bourges exalta sa
jeune liberté et définit ses prérogatives, A ses yeux,
le journaliste n'est pas tenu à la critique des sour-
ces : la fonction qu'il exerce implique le droit de
répandre les rumeurs qu'il a recueillies, dût-il léser
un intérêt privé, dès qu'elles atteignent les déten-
teurs de la puissance publique. S'il est vrai que le.
polémiste remplisse une salutaire mission d'éclai-
reur social, la liberté qu'il revendique n'est-elle pas
le corollaire des libertés politiques ? N'est-il pas lui-
même le coadjuteur du Parlement ? Qu'il s© fasse
donc l'écho sonore de tous les groupes d'opposition^
il n'excède point ses immunités ; Armand Marrast
s'était borné à réfléchir les accusations unanimes du
— 17 —
parti républicain. Cette conception des privilèges
de la Presse, qu'une lente expérience devait faire
passer dans le fait, sinon dans le droit, alarma la
prudence native des jurés du juste milieu ; ils pré-
féraient les raisonnements sentencieux de la partie
civile. Armand Marrast fut déclaré coupable, et
Michel de Bourges éprouva la déoeption des thèses
prématurées devant la justice criminelle du bon roi
Louis-Philippe.
S'il faut en croire le plus brillant polémiste répu-
blicain du régime de Juillet, « la souveraineté sous
les armes n (') résidait alors dans la garde natio-
nale, N'êtes-vous pas, citoyens, disait Armand Car-
rel, les successeurs du peuple en ses Comices, les
lointains héritiers des légions au Champ de Mars ?
Et de fait, chaque aimée, au jour anniversaire de
son orageux avènement, le Roi passait en revue ses
milices de prétoriens débonnaires, comme pour s'as-
surer à leur contact qu'ils consentaient à lui renou-
veler son mandat. Les gardes nationaux, par des
acclamations variées, lui signifiaient leur satisfac-
tion ou leur mécontentement politique, et le roi-
citoyen rentrait au Château tout imprégné de leur
volonté. Le soir, ces héros d'un jour regagnaient leur
demeure dans le cliquetis des armes, parant d'un
lustre guerrier leur prudhommie bourgeoise, res-
plendissants de gloire sous la poussière de la. revue
royale.
(11 AroiK Caire!, Le National Articles des il, 13, 24, 25 juillet 133^ +
Cité par Thureau- Darwin. T. n, p. 219. V. aussi Histoire générale pu-
bliée sous la direction (te Lavisse et Rambaud. T, x, p. 377,
— 18 —
L'an troisième du règne, cette solennité militaire
fait naître des incidents qui favorisent Michel de
Bourges d'une nouvelle cause politique.
Le ministère voulait fortifier Paris ; mais ces pro-
jets alarmaient la citadelle des révolutions. Il
semblait que le feu des forteresses allait se retourner
contre elle, que le Roi élevait de nouvelles Bastilles.
Et les classes moyennes, très fières au souvenir des
« trois Glorieuses », entendaient conserver l'exercice
au moins éventuel du droit à l'insurrection \ l ).
Une puissante association républicaine, la pre-
mière en date des Sociétés pour les droits de
l'homme et du citoyen, spéculait sur cet état d'es-
prit ( 2 ). Divisée en sections de moins de vingt
personnes rattachées entre elles comme par un lien
fédéral, elle rayonnait dans le pays tout entier, où
elle préparait l'éclosion des idées démocratiques.
Le parti qui l'avait fondée décide de se présenter
aux Parisiens comme le défenseur de leurs préro-
gatives révolutionnaires. Les gardes nationaux
irrités devaient accueillir le Roi aux cris : « A bas
les Bastilles » ; les républicains, escomptant la
vertu séditieuse d'une interjection historique,
appuieront leurs protestations. On convient d'une
prise d'armes conditionnelle.
(1) V. Thureau-Dangin. T. n, p. 216 et suiv.
Sand voir Albert le Roy, G. Sand et ses amis, p. 338 à 363. P. Ollen-
(l\ Sur le rôle de la Société des Droits de V Homme. — V. Thureau-
Dangin. T. n, p. 218 et suiv.
V. aussi Tchernoff. Le parti républicain sous la monarchie de luiuei.
p. 272 et suiv. — V. Weiss, Histoire du parti républicain. Ch. IV, p. 98
et suiv.
— 19 —
Mais le gouvernement, averti, s empresse de sur-
seoir à des projets impopulaires : la garde nationale
s'apaise, et la condition suspensive de l'émeute ne se
réalisant pas, la revue du roi est à peine marquée
par d'innocentes bagarres.
Elles suffisent au ministère pour tenter d'anéan-
tir la Société des droits de l'homme et les groupe-
ments similaires. On arrête les présidents de deux
sections militantes, auxquels on adjoint les plus
bruyants manifestants de la revue, et quelques Poly-
techniciens surpris chez un serrurier qui détenait
des armes. Ce fut le complot des Vingt-Sept, où
Michel de Bourges défendait plusieurs élèves de
TEcole Polytechnique (').
Cette cause solennelle avait fait naître au Château
d'ambitieuses espérances, Il s'agissait, Messieurs,
de vaincre aux Assises pour triompher au Parle-
ment. L'arrêt de la Cour deviendrait un titre aus
rigueurs de la Chambre pour le droit d'association.
Le réquisitoire, répandu d'avance à travers le pays,
dénonçait à l'indignation des électeurs les périls
suscités à la France et à la nouvelle dynastie ( a ).
Les Vingt-Sept menaçaient à la fois le gouverne-
ment et Tordre social. Ne se réclamaient-ils pas de
la déclaration des droits, rédigée par Robespierre
et repoussée par la Convention ? Ils propageaient
(1) Gazette des Tribunaux des 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, %l
et 23 dêcmbne 1833.
fë) Procès des vingt-sepL Publication du Populaire t p, 3G,
— 20 —
ainsi une définition de la propriété dans laquelle un
éminent jurisconsulte avait cru découvrir la loi
agraire elle-même. « Les républicains veulent
<( réduire tous les propriétaires à la portion con-
« grue », répétait le plus spirituel bourgeois du
régime, le procureur général Dupin. Le mot, Mes-
sieurs, avait eu une rare fortune. Aux Assises, le
ministère public accusait formellement les Vingt-
Sept de faire revivre les doctrines des Egaux. Il
fallut toute la persuasive dialectique de l'un des
défenseurs pour réfuter les paradoxes d'une glose
tendancieuse. Sans doute, le vertueux Convention-
nel dont se réclamaient les accusés préconisait déjà,
en 1793, les inquiétants principes de l'assistance
obligatoire et de l'impôt progressif, mais respec-
tueux de la plus récente évolution du droit de pro-
priété, je veux dire la vente des biens nationaux, il
tempérait ces nouveautés subversives par l'indivi-
dualisme le plus rassurant. Les jurés de 1833
pouvaient dès lors juger sans alarmes et écouter
sans terreur la défense des accusés (*).
Michel de Bourges apporte sa précision et sa
verve accoutumées à faire valoir le caractère fictif
de l'inculpation. Quelle n'était pas alors, Messieurs,
l'habileté des avocats du roi à surprendre la nais-
sance d'un complot ! De quel art ils savaient relier
(1) Sur ce très curieux procès de tendance voir dans la publication
du Populaire précitée, La plaidoirie de l'avocat Dupont. Voir aussi
Louis Blanc : Histoire de dix ans. T. iv, p. 118, 119. Voir Tchernoff
précité, p. 28Z et 294. Weiss précité, p. lte.
— 21 —
avec des attaches ténues les pièces délicates, sur
quoi reposent ces crimes incertains qui surgissent
du droit pénal aux jours les plus troublés des com-
pétitions politiques ! Jamais, j'imagine, œuvre plus
élégante, mais plus décevante aussi que le complot
des Vingt- Sept ne fut offerte à l'appréciation d'un
jury ! Mais jamais aussi adversaire plus osé ne
combattit réquisitoire plus spécieux !
L'accusation n'avait su apercevoir que les traces
légères d'une conjuration éventuelle. Dans une étin-
celante discussion , Michel de Bourges établit qu'un
complot sous condition n'est pas punissable, puis-
que Taccord des volontés est soumis à un événement
incertain.
D'ailleurs, quelle est la genèse abstraite du com-
plot? Un dessein séditieux germe dans une âme
révolutionnaire ; à son contact s'éveillent des aspi-
rations identiques ; puis le projet d'attentat mûrit,
se prépare, chemine, jusqu'à ce qu'il descende un
jour dans le domaine des faits ; on se concerte pour
le réaliser : on convient d'un plan d'action, du lieu,
de l'heure où l'on surprendra ses adversaires. Alors,
mais seulement alors, le complot est né à la vie juri-
dique.
Armé de cette définition redoutable, Michel de
Bourges convie les jurés à l'examen de la cause.
Pour la première fois, les Vingt-Sept, Polytechni-
ciens, gardes nationaux, sectionnaires des droits de
l'homme, sont réunis aux Assises par les soins of fi-
— 22 —
cieux du Parquet. Jusqu'à l'instruction et à
l'audience, ils s'ignoraient les uns les autres : les
débats l'ont clairement établi, Où s'est lié le faisceau
de leur action commune 1 Quand donc, unissant des
désirs de bouleversement social, ont-ils combiné des
résolutions criminelles ? Poursuivrait-on des hosti-
lités politiques sous couleur de conjuration ? Et le
gouvernement se sent-il si menacé, que groupant de
ses mains des inimitiés isolées, il découvre par pro-
vision et vu l'urgence des complots imaginaires ?
Mais quel juiy s'abaisserait jusqu'à réprimer les
créations complaisantes d'une police inventive ? Le
pouvoir attend vainement des juges du droit com-
mun les services exceptionnels des justices politi-
ques. Les audaces tribuni tiennes de Michel de
Bourges triomphent une fois de plus d'une préven-
tion téméraire : les Vingt- Sept sont rendus à la
liberté.
Tirant profit de ces leçons répétées, le Gouverne-
ment défère à la Chambre des Pairs transformée en
Haute- Cour, les cent soixante-quatre républicains
poursuivis entre les deux mille insurgés arrêtés
d'abord après l'inutile prise d'armes d'avril
1834 0).
Jules Favre assurait qu'une procédure aussi
touffue, mise en valeur par des avocats éprouvés*
(1) V. sur le procès d'avril, Thuiv nu-Dan gin, T. n. Ch. XÏI, p, 29^
et suiv. V. aussi Louis Blanc : lunaire de dix ans. T. rv T Ch, X. V.
d'autre part Weiss, p. 13G et suïv. précité.
— 23
n'avait qu'une issue légale, l'amnistie. Spéculant
sur l'évidente lassitude des pairs de France chargés
d J ans et d'honneurs, il voyait par avance les bancs
du Luxembourg désertés au cours d'interminables
débats, la lice judiciaire fermée, faute de magis-
trats, et le pouvoir conduit au pardon par la défail-
lance de ses juges- Il proposait donc d'adopter pour
la défense une ingénieuse tactique d'obstruction.
Michel de Bourges avait de plus hautes visées, La
barre de la Cour des Pairs lui semblait une admi-
rable tribune. Les accusés d'avril avaient réuni leurs
amis les plus éloquents des Lettres, du Barreau, de
la Presse,., Dans le plus pittoresque des comités de
défense, Lamennais coudoyait Barbes et Armand
CarreL Qu'était-ce pour eus: qu'un tournoi judi-
ciaire ? Michel de Bourges rêvait de prosélytisme
politique. La défense des accusés d'avril servirait
de prétexte à la diffusion de leurs doctrines : la
Chambre-Haute deviendrait comme le foyer de la
jeune République. Malgré Jules Favre, ces desseins
audacieux séduisent presque tous les défen-
seura (').
Mais le président de la Cour des Pairs avait
résolu d'épargner à l'ordre public de nouvelles agi-
tations. Il refuse d'admettre à sa barre les conseils
des accuses et désigne d'office les avocats... Les
républicains les repoussent, déclarant bien haut que
(1) Sur les divergences de Jules Favre et de Michel de Bourges,
V. L. Blanc précité, p + 376, 379. V. aussi George Sand, Histoire te
ma vie. T. iv, p. 345, 346.
j
— 24 —
privés de l'assistance des leurs, ils s'abstiendront de
paraître aux audiences. La Cour essaie de les con-
traindre ; mais les accusés poussent de si violentes
clameurs que des expulsions multiples ne triomphent
pas d'un tumulte prémédité. Les Pairs du Royaume
ne savaient se résoudre ni à juger sur pièces^ ni à
entendre ces défenseurs séditieux.» Au dehors, les
journaux républicains, le National, la Tribune, sti-
mulaient la résistance de leurs amis captifs ; dans
le Charivari* Daumier s'amusait cruellement de ces
juges indécis ; le comité de Défense, enfin, publiait
une lettre collective. Je ne résiste pas, Messieurs, au
désir de vous la citer :
a Persévérez, citoyens, montrez -vous comme par
a le passé, calmes, fiers, énergiques ; ce que vous
ii voulez, la France le veut : la France ne consentira
« jamais à voir des juges là où il ny a pas de défen-
u seurs. Sans doute, après vous avoir mis dans
« l'impuissance de vous défendre, la Cour des Pairs
« aura le triste courage de vous condamner. Vous
m accepterez avec une noble résignation cette nou-
« velle iniquité ajoutée à tant d'autres : l'infamie
« du juge fait la gloire de l'accusé.
a Salut et fraternité... » (').
Sous le déchaînement des passions, les formes
héroïques du langage révolutionnaire ont refleuri.
Il semble que la grandiloquence de ces pamphlétaires
n) Citôe p, Louis Blanc, Histoire de itiu ans. T. iv, Ch. X, p, 3ÏX).
391,
attardés suffisait à excuser un libelle offensant. Les
Pairs de France, dont quelques-uns avaient servi
avec zèle trois gouvernements divers, et qui avaient
su défendre contre l'instabilité des régimes qui pas-
sent, les utiles privilèges des charges qui demeurent,
tour à tour sénateurs de l'empire, pairs d'un roi
légitime, pairs d'un roi d'insurrection, ne leur
devaient-ils pas au moins quelque sceptique indul-
gence \ Mais le triomphe de la République parais-
sait si lointain en 1835 que des poursuites furent
résolues.
Aussitôt Michel de Bourges se déclare Fauteur
de la lettre incriminée, et déférant à la citation de
la Chambre-Haute, il se présente devant elle. Quelle
ne fut pas la surprise des pairs du royaume ? Ils
attendaient un tribun téméraire : ils virent venir à
eux le plus délié des avocats.
Au contact de la barre, Michel de Bourges a
recouvré tout son sang-froid ; et ce jour-là, il sait
concilier avec tant d'art et de dignité les antinomies
d'un double rôle, alliant aux nécessités de la défense
les hardiesses mesurées de l'apostolat politique,,
qu'il faillit désarmer ses juges irrites. En dépit du
stoïcisme ambitieux d'une péroraison imprudente :
« J'aime mieux, s'écriait-il, comme cet autre répu-
blicain qui sut mourir à Utique, finir en prison que
de siéger à côté de toi, César », les sénateurs moder-
nes du régime censitaire se contentèrent de lui infli-
ger un mois de prison et dix mille francs d'amende
I I
— 26 —
qui suffisaient à sa gloire. Les faveurs d'une persé-
cution royale consacraient sa foi républicaine. Dis-
pensé de ce fait de concourir à la défense des accusés
d'avril, il s'abstint d'une cause qui dura toute une
année. Bientôt, cependant, une spirituelle évasion
des principaux coupables allégeait la tâche de la
Chambre-Haute, et cette solution élégante d'un pro-
cès encombrant, que ni Jules Favre, ni Michel de
Bourges n'avaient su prévoir, rendit enfin à sa
destinée législative la Haute Cour déjà lassée de ses
attributions judiciaires ( l ).
Michel de Bourges expiait dans la prison de sa
ville adoptive les excès c< de sa magnifique inso-
lence », quand une femme Ty vint prier pour une
cause plus délicate. Conduite par un gardien gagné
à sa fantaisie, George Sand apparaît une nuit dans,
la cellule du tribun et lui demande sur l'heure une
consultation ( a ). Le soir même, M. Dudevant, son
mari, l'avait menacée* diffamée devant leurs
enfants ; elle entendait l'écarter légalement de sa
vie, dût-elle pour y parvenir compromettre son
repos. Michel de Bourges rédige la plus romantique
des requêtes, et cette procédure est bientôt suivie du
succès de la requérante. Et comment. Messieurs, le
mari de George Sand se fût-il utilement défendu
dans une instance en séparation ? Il n'avait pour
arme qu'une lettre, où, très loyalement, sa femme lui
(1) Sur i'évesion des républicains, V. Louis Bienc précité. T. iv,
p. 417 et suiv>
{?) George Sand. Histoire de ma vie. T. iv, p. 3S1, 382.
- 27 —
confiait une inclination naissante qu'elle avait vic-
torieusement combattue. Dans un beau mouvement
oratoire, Michel de Bourges demandait aux juges
s'ils fonderaient une décision de justice sur des
présomptions « d'adultère moral ? » (')
Et cependant, quelques mois auparavant, il
l'avait surprise en pleine crise sentimentale. Meur-
trie par d'orageuses passions, mais délivrée enfin de
leur contrainte, elle aspirait à de nouveaux enthou-
siasmes, à de nouvelles fièvres, où l'amour, enfin,
n'aurait plus de part... Un soir, à Bourges, des amis
les présentent l'un à l'autre; aussitôt le verbe domi-
nateur de l'avocat d'Avril s'impose à l'auteur
<T « Indiana ». Dans une promenade qui dure jus-
qu'à l'aube à travers les rues de la vieille cité muette,
il parle, infatigable, jusqu'au matin (*), Et jugez,
Messieurs, de son éloquence: à une femme désabusée
de douloureuses tendresses, il offrait des diversions
politiques et humanitaires, il essayait de la gagner
à la cause républicaine, et George Sand engageait
au service de la République un talent renouvelé à
des sources d'émotion et d'inspiration jusque-là
inconnues.
La voici républicaine ce soir, demain socialiste,
L'effusion d'une instinctive pitié pour les humbles
lu; tenait lieu de doctrines précises. N'était-ce pas
alors le temps fabuleux du socialisme français ? Les
théories scientifiques d'outre-Rhin n'avaient point
(1) Gazette des Tribunaux du 30 Juillet, 1056.
{%) George 1 Sand. Histoire de ma vie, T\ tv, p. 31D.
— 28 —
tari encore ses utopies généreuses : tous ses apôtres,
Cabet, Fourier, Saint-Simon, fortifiaient d'obliga-
tions morales des aperçus économiques sommaires,
et réclamaient une répartition des richesses con-
forme à leur idéal de justice. George Sand, refai-
sant le rêve bucolique de la cité platonicienne, se
perdait dans un communisme nuageux. Un jour,
elle offre à la république future ses terres de
Nohant ; mais, par un illogisme de néophyte,
influencée encore par ses errements passés, elle
instituait Michel de Bourges répartiteur pour le
compte de la communauté, faisant acte de proprié-
taire dans le temps même où elle abdiquait la pro-
priété 0.
Le romancier et l'orateur se plaisaient dans leurs
entretiens à imaginer une société idéale. D'accord
sur la forme du gouvernement, sur le principe d'une
' propriété collective, le sort réservé à l'art et aux
artistes faisait naître leurs plus vives controverses.
Le défenseur d'Avril, uniquement soucieux
d'héroïsme civique, flétrissait l'action dissolvante de
ces dangereux aristocrates, les artistes, baladins ou.
poètes, impudents amuseurs des peuples énervés, et
préoccupé de faire régner la vertu, sans pourtant
restaurer la Terreur, il les bannissait de sa répu-
blique ( 2 ).
(1) George Sand, Lettres d'un voyageur, Michel de Bourges y est
désigné comme dans l'Histoire de ma vie, sous le pseudonyme d'Eve- .
rard. V. la lettre du 2 avril, p. 194, 195.
(1) V. G. Sand, Histoire de ma vie précitée. T. jv, p. 329, 330.
— 29 —
Mais George Sand lui opposait la vision d'un art
tout social. Elle eût voulu élever à la Beauté non pas
une chapelle étroite pour une secte jalouse d'initiés
exclusifs, mais une vaste église où les plus simples
fussent conviés aux joies supérieures d'un culte
accessible à toutes les pensées. Il semble bien, Mes-
sieurs, à relire u Les Lettres d'un voyageur » que les
prières athéniennes du disciple aient su vaincre les
rigueurs Spartiates du maître, en faveur d'une
république moins austère (').
Mais surtout, sous l'influence de Michel de
Bourges, George Sand a découvert la solution la
plus littéraire, la plus puérile, la plus touchante
aussi du problème social Combinant ses réminis-
cences passionnelles et ses aspirations humani-
taires, elle rêve d'utiliser les affinités de sentiment
pour apaiser les compétitions d'intérêt, niveler les
conditions humaines, et faire régner une ère défini-
tive de justice bienheureuse. Qu'un jeune homme
riche et beau aime la plus vertueuse et la plus
pauvre des jeunes filles, la question sociale est par-
tiellement résolue. Mais, qu'à son exemple, tous les
individus d'une société orientent résolument leurs
inclinations vers une fin aussi morale, l'humanité
tout entière connaît enfin l'infaillible remède à ses
angoisses et à ses maux,.. Des romans généreux et
(1) V. G. £and. Lettres d'un voyageur. Lettre du 2G avril» p. 1S3 et
suiv, V. aussi sur cette idée la correspondance de G, Sand et de Flau-
bert (octobre 186G) et une autre lettre. Carrespondaiict' de G, Sand.
T. vi, p. 204, B05,
— 30 —
naïfs naissent de cette conception utilitaire de
l'amour : entre les fantaisies romantiques de
<( Lélia » et les églogues du Berry, desi œuvres célè-
bres en 1840, oubliées de notre temps, « le Péché
de M. Antoine», le « Meunier d'Angibault » sont
issues d'une veillée oratoire où l'un des nôtres,
Messieurs, a transformé une amoureuse en
citoyenne (').
Michel de Bourges» avait le don de cette familière
éloquence qui fleurissait aux âges antiques dans les
écoles d'Ionie. Ce fut un causeur merveilleux. La
haute culture de son esprit se traduisait « en réa-
lités oratoires ( 2 ) », quand au contact d'une pensée
hostile ou amie, il avait deviné un adversaire à
combattre ou un adepte ! à raffermir. Vous l'avez vu,
Messieurs, transformer, en quelques heures, une
artiste en prosélyte républicaine : à Lyon, en 1850,
il laisse de jeunes avocats sous l'impression pro-
fonde d'un entretien élevé. Les réunissant auprès
de lui à l'issue d'une audience, il leur parle des
philosophes grecs vers lesquels le ramenaient ses
inclinations naturelles ; puis il leur dit son déisme
imprécis, sa foi dans une Providence inconnue >
tremblant à la pensée de la fragilité humaine, cher-
chant dans son ardente improvisation comme une
preuve matérielle de l'immortalité pour l'esprit.
<( Nous étions tellement fascinés en l'écoutant, écrit
(1) Au sujet de l'influence exercée par Michel de Bourges sur G.
Sandi, Voir Atebert le Roy, G. Sand et ses amis, p. 338 à 363. P. Ollen-
dorff. 1903.
(2) Expression de M. Emile OUivier.
— 31 —
le plus illustre de ses auditeurs, M. Emile Olli-
vier, que nous nei prenions pas garde à la fuite
du temps » ( l ),.. Ne pensez-vous pas, Messieurs,
qu'il a été plus qu'il n 5 a paru, celui qui exerçait sur
de hautes intelligences un ascendant aussi souve-
rain 1 Du moins, le souvenir de son talent s*est fixé
en des livres amis ; et n'est-ce pas pour ceux dont
les voix se sont tues la plus durable, sinon Tunique
survivance de gloire que laisse la parole fugitive 1
Michel de Bourges avait dominé longtemps le
tumulte des audiences politiques, mais quand fut
close Père des grands procès républicains^ sa grande
voix seteignit dans l'apparente sécurité d'une
monarchie rassurée.
Vers le milieu du règne, il traverse silencieuse-
ment le Parlement, agité par les compétitions de
Thiers et de Guizot. Surpris d'abord par les que-
relles des partis, il les aperçut bientôt d'accord sur
les principes, divisés par les hommes. Il passa
parmi eux un jour, et ce fut assez ( 3 ), Ce démocrate
répudiait les illusions d'une majorité docile à une
politique de classe, et refusait de confondre les
vœux d'une aristocratie de contribuables avec les
aspirations de toute la société française.
Désabusé de la politique active, il prend une lon-
gue retraite jusqu'aux journées de février, et, dans
l'isolement paisible de sa ville d'adoption, il dirige
(1) V. M, Emile ûllivier. Le a^-neuf janvier, p. G7 ci euiv.
{%) Michel <le Bourges, dans son discours sur la Révision. V. ïofra.
— 32 —
ses recherches vers les spéculations de ]a politique
générale.
En 1850, au déclin de sa vie, Michel de Bourges
paraît à l'Assemblée législative. Il y apportait des
préoccupations d'économiste qui ont dû surprendre
les parlementaires de son temps. Jadis, aux jours
lointains du procès d'Avril, élargissant en logicien
rigoureux le principe égalitaire, il inclinait au
socialisme agraire de Babœuf ('), Mais depuis lors,
les leçons de la vie avaient fléchi son intransigeance,
il avait relu Aristote après Platon, et convaincu
désormais que u les hommes se dévoreraient pour le
« superflu si tous possédaient le nécessaire, qu'il
« eût fallu pour assurer l'équilibre des sociétés
« niveler les passions et non pas seulement les for-
« tunes » ("), il avait abjuré la République d'Ica-
rie, gardant de son communisme défunt une
permanente inquiétude des problèmes sociaux.
Une demande de revision constitutionnelle pro-
posée par les droites lui permit, dans un magnifique
discours qui consacra sa renommée parlementaire,
de faire la synthèse de ses méditations politiques.
Il donna, ce jour -là, une si haute idée de son talent
à Lamartine, que le grand poète, séduit sans doute
par la physionomie originale de l'orateur, s'attarde
à composer un portrait prestigieux ; « Nous avons
« vu apparaître, dit-il, un homme de granit, d'une
fl) V, G. Sand. Histoire de ma vie précise. T. tv, p. 329 +
(2) V. M- Paul JaneL Article précité, p. 9S8.
— 33 —
« stature forte, carrée, d'aplomb sur elle-même
« dont les lignes coupées à angle droit comme celles
« des statues gauloises, ont quelque chose de rus-
« tique et de primitif qui transporta Fœil dans une
« autre race.,, La front proéminent sur les yeux,
« la vue usée, aidée par le cristal, les joues pâles et
« creuses comme celles d'un cénobite, les cheveux
« rares, incultes, le poing lourd sur la tribune
u comme le marteau sur l'enclume. Nous étions tout
« regard et tout oreilles pour cet oracle si bien drapé
« en costume inculte de la démocratie suprême.
« Nous ne savions ce qui allait sortir de là, nous
« tremblions qu'il n'en sortît des mystères, des ter~
u reurs, des tempêtes... Que nous avons été magnifi-
« quement trompés I » ( x ).
Pour Michel de Bourges, Messieurs, une question
primordiale s'impose à la jeune République. Il con-
vie ses partisans à concentrer l'effort de leur pensée
et de leur expérience sur le redoutable débat qui
divise le capital et le travail : « Je n'aime la Répu-
tt blique, disait il, que si elle me promet la conci-
« liation de ces deux forces ennemies et solidaires ;
a faute par elle de s J y employer et d'y réussir, je
<f l'abandonne à sa destinée » ( a ).
Dédaignant ce jour-là les formes changeantes du
pouvoir politique, il demandait à un gouvernement
(1) V- Le Conseiller du Peuple. Journal d-e Lamartine {3" année,
p. 172).
(2} Michel de Bowrgas. Discoure sur la Révision. Séance du 16 juil-
let 1851. V. le Moniteur Universel, Juin-déoembre 1S51 p. 2.024-2.025
et 2,034-2.035-2.036,
3
— 34 —
!
nouveau ds renouveler les attributions de l'Etat ;
il revendiquait pour la puissance publique, trans-
formée à ses yeux par une révolution, un rôle
d'arbitre social qui résultait pour lui du suffrage
universel Dans F avènement de ce nouveau souve-
rain, Michel de Bourges saluait une aube de paix
et de quiétude : désormais plus d'agitations
violentes, plus de soulèvements populaires.,.
Jusqu'aux journées de février, les Parlements
reflétaient les aspirations d'un groupe, légiférant
pour les classes moyennes. Que ceux-là seuls se par-
tagent le pouvoir qui justifient de leurs aptitudes
par le signe éminent de la capacité politique, par
la richesse, avait dit Guizot..,
Que la loi soit librement discutée par les manda-
taires de tous les groupes et de tous les hommes,
répondait le défenseur d'Avril : il n'est plus de
pays légal. Une représentaion intégrale des riches
et des pauvres, des faibles et des forts* des intérêts
les plus contraires qui s'entrechoquent au sein des
sociétés, va réaliser enfin une législation d'apaise-
ment qui réconcilie les classes ennemies, Michel
de Bourges rêvait sans doute une assemblée où
fussent réunis les délégués professionnels de toutes
les activités nationales...
Admirable vision, Messieurs, que cette image
sereine d'un conseil arbitral du Travail et du Capi-
tal ; que ce congrès idéal de pacifistes sociaux,
dominant les tempêtes du monde économique I
Mais par quelle prodigieuse intuition, par quel
— 35 —
merveilleux instinct d'une mission aussi nouvelle,
le suffrage universel naissant eût-il spontanément
transformé les attributions et les caractères des
Parlements ? Comment cette assemblée de 1850,
tourmentée par l'issue d'un duel sans merci avec un
président de coup d'Etat, se fût-elle consacrée à la
tâche de concorda que Michel de Bourges lui assi-
gnait ? Les aspirations de ce haut esprit qui eût
voulu associer les énergies républicaines pour une
médiation grandiose, étaient vouées, par leur
nature même, par de douloureuses réalités politi-
ques, à l'indifférence de ses contemporains.
Michel de Bourges avait foi dans l'avenir de la
seconde République. Cet idéologue voyait dans la
démocratie une indestructible force morale : ce
juriste concevait " le Peuple » comme une entité
logique, comme une personne civile, capable die
sauvegarder des droits dont elle eût conscience. Des
cimes nébuleusesi de l'abstraction, il perdait de vue
les agitations d'une ondoyante multitude, constante
en ses appétits, mobile en ses désirs... Ce fut, Mes-
sieurs, sa plus belle, sa plus éloquente erreur : elle
allait lui inspirer un mot historique, cruellement
démenti par l'histoire.
Quelques jours avant le Deux Décembre, les ques-
teurs proposaient à l'Assemblée législative plus que
jamais anxieuse, de voter une loi qui investît son
président de prérogatives militaires : il aurait le
droit de requérir la force armée pour la défense du
Parlement. Dans la crainte d'une restauration
monarchique, la gauche s'unit aux partisans de
l'Elysée, pour combattre le projet soutenu par les
droites, Coup d'Etat d'une majorité hostile, coup
de force de Bonaparte, la cause républicaine ne
courait-elle pas mêmes périls ? D'ailleurs, entraînée
par Miche] de Bourges, la Montagne s'en remettait
à une Providence mystérieuse, « II n'y a point de
« danger, s'écriait le tribun, mais s'il y a un danger,
« il y a aussi une sentinelle invisible qui vous garde,
« je n'ai pas besoin de la nommer, c'est le Peu-
« pie » (%
Bientôt, dans une tragique matinée, les républi-
cains cherchaient vainement leur sentinelle
défaillante. Le peuple, dont l'insurrection vivifiait
naguère une second ei République, laissait passer
indifférent les soldats de l'Empire et voyait disper-
ser ses mandataires, sans que l'héroïsme de quel-
ques-uns suscitât ses représailles !
C'est que l'armée révolutionnaire n était pas la
foule homogène et lucide que Michel de Bourges
avait idéalisée. Il n'apercevait pas deux classes
populaires distinctes, vivant côte à côte et cepen-
dant fermées, presque hostiles Tune à l'autre : ici,
les paysans de France, ignorants de la vie publique,
résignés, à demi-satisfaits depuis que la Consti-
tuante avait morcelé pour eux le patrimoine des
ordres privilégiés ; là, les ouvriers des villes plus
(1) Michel de Bourses, Discours sur la proposition des questeurs.
Séance du 17 novembre 18âL V. le Moniteur universel, juin, dtfœmbro
1851, p. 2873-
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éclairésj mais nerveux, vivant une vie précaire dans
Tanarchique mêlée des efforts industriels. Ces der-
niers seuls, espérant d'un régime nouveau quelque
sécurité, quelque bien-être, se levaient pour les
révolutions... Puis, désabusés des changements
illusoires de la politique et rendus pour un temps
à leur passiveté d'autrefois, ils s'inclinaient devant
un nouveau maître. L'inertie de la France rurale,
les rancunes des classes ouvrières, décimées aux
journées de juin, assuraient le succès du coup
d'Etat,
La carrière de Michel de Bourges est achevée, Il
semble que ce républicain romantique, dont la bru-
meuse politique cheminait dans le rêve, devait finir
avec cette République de poète : il survécut à peine
à la Restauration impériale, meurtri par un dou-
loureux exil volontaire, brisé par les déceptions
sanglantes de deux Révolutions (*).
C'est ainsi, Messieurs, qu'a passé Michel de
Bourges, obscur et célèbre, « laissant un nom sans
laisser des traces (') ». Trop clairvoyant pour
admettre que l'intérêt d'une caste pût s'identifier
avec le bien public, il accabla de ses dédains la béati-
tude égoïste d'une bourgeoisie satisfaite. Epris à la
fois d'action et de philosophie politique, pénétré
d'une foi superstitieuse en la conscience populaire»
tourmenté par la divination du problème social, ce
(1J Michel dœ Bourges mourul & Montpellier, le 16 mars 1853.
(2) M, Paufl Janet, .Article précité, p. 1.
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fougueux orateur, devenu le théoriciea apaisé d'une
ère nouvelle, ne fut pas l'homme de son temps : il
apparaît comme un précurseur. Sa figura déjà loin-
taine, îmais grandie par le prestige d'une ombre
demi-séculaire, est celle d'un grand avocat, prodigue
de gestes et de mots héroïques, d'un ancêtre très
généreux et très bon de la démocratie française.
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